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Prends garde à la MILF qui sommeille, le soir au fond des bois

Kataline Patkaï, MILF, Vitry, 12-15 avril 2013

Par le premier vrai soleil de ce printemps, je suis allé voir MILF à Vitry, rue de l’Insurrection. Avouez que ça a de la gueule ; plus de gueule que si je vous avais dit : “je suis allé voir Ménagère de moins de cinquante ans au Théâtre de la ville”. D’ailleurs il n’y avait que des bobos branchés comme moi (sauf que je ne sais toujours pas porter les sneakers). Non, blague à part, si vous n’y étiez pas, vous avez eu tort.

Et d’abord pour le lieu, le studio-théâtre de Vitry, sorte de pavillon de banlieue auquel un théâtre aurait poussé dans la nuit. Vous débarquez là en plein milieu d’après-midi comme vous iriez à un weekend en famille, avec plein de copains et des enfants partout qui couratent. Pour une fois, vous n’êtes pas une référence client ni un login-mot de passe. Un luxe inouï qu’on ne trouvera jamais dans les grandes salles estampillées, mais que l’on voudrait voir fleurir partout ; comme on voudrait que tous les spectacles prennent définitivement la clef des champs (Au fait. Frédéric Seguette : c’est bon, Kataline Patkaï est d’accord pour présenter MILF au Potager du roi l’an prochain).
Dans le même ordre d’idées, on apprécie les efforts de Kataline Patkaï (encore trop timides mais c’est déjà bien) pour entremêler interprètes et spectateurs, étendre la palette de leurs sens et leur donner la possibilité réelle d’échanger après.

De retour de maternité, Kataline Patkaï fait donc son grand come-back avec une pièce de circonstance que je recommande à tous, et particulièrement aux nouveaux pères. Ce spectacle leur en dira plus qu’un long discours sur les métamorphoses fractales de la parturiente.
En guise de hors-d’oeuvre, très réussi, une créature almodovarienne invite à se coucher sur des peaux comme Sardanapale. Kataline Patkaï expose d’entrée de jeu l’incongruité comique de la femme enceinte. De fait, celle-ci est placée dans une schizophrénie absurde et ingérable ; elle est en même temps projetée dans l’animalité la plus intime et assignée à la plus étroite des domesticités. Le premier animal domestiqué par l’homme ne fut certainement pas le cheval, la poule ni le chien, mais la femme. La voilà proprement comme un animal en cage. Kataline Patkaï fait habilement partager les émois de la jeune mère, le bestiaire de son désir et de sa chair (sa carcasse, sa poche, un écrin rutilant qui frissonne comme un Soulages vivant), sa déchirure, sa charcuterie, l’avènement de l’alien.
Sanglier, laie, truie, la mère est multiple. Le baby-blues n’est pas qu’une question d’hormones, c’est le prix de sa domestication brutale. La biche ménagère apprend à mesurer ses gestes comme si d’un coup son territoire s’était réduit en peau de chagrin. Son corps est son piège et sa nouvelle prison. Transie, Marylin a les tripes en berne.

Kataline Patkaï a eu le temps de vivre et de méditer intimement le sujet. Elle s’est nourrie des confessions de femmes de son entourage. MILF est en somme un vrai documentaire avec de vraies interviews, mais sous une forme performative et sensible. Et cela fonctionne parfaitement.
C’est sans doute aussi, mais sans tout à fait le dire, ou alors avec le plus grand naturel, un manifeste politique ou sociétal. MILF parle de la femme et que d’elle. Assez brutalement, Kataline Patkaï se débarrasse de l’enfant. Quant au mâle il est absent, ou n’est présent, peut-être, qu’indirectement, anonymement, sous la forme d’une autorité ancestrale, d’un mauvais génie, d’une contrainte normative. Kataline Patkaï n’en veut pas. Et toutes les femmes avec elle se crient “réensauvage-toi !”
Marylin is not dead. Rôdent des effluves carnées, des bouffées de métaphores, pleines d’Ovide et de Shakespeare ; les feuilles bruissent encore et le poil continue de frémir ; le bois est tout proche. Il faut que la mère demeure, ou redevienne, la jeune fille rebelle qu’elle a été ; qu’elle déserte la plaine, qu’elle regagne les arbres. Avec son visage si irénique, mais toute sa fougue intérieure, Kataline Patkaï s’en fait la porte-parole. Mère mais femme, toujours.

Sadistic minimalistic illusionistic, Corps en plastique

Hier 29, j’ai repris le chemin des salles. Un peu par erreur, pour avoir lu trop vite le texte d’intention de Soulèvement, par Elizabeth Saint-Jalmes. Je n’avais pas fait le rapprochement avec les vidéos que celles-ci a publiées sur Vimeo, où j’administre le groupe Contemporary Dance. Mais qu’importe, cela faisait longtemps que je n’étais pas retourné à l’Etoile du Nord où, inlassablement et toujours le sourire aux lèvres, Jean-François Munnier défriche et déniche pour vous ces petites choses que vous ne verrez pas ailleurs (pour les non initiés ça s’appelle Avis de turbulences et la cuvée actuelle court jusqu’au 27 octobre).

Bref. Ce soir-là on refusait du monde. En même temps c’est de la triche, la jauge étant de 25 personnes, trois représentations dans l’après-midi, cela fait 75 spectateurs (5 euros l’entrée). Sous le titre Corps en plastique, trois solos, une déambulation dans et hors le théâtre.

Light is Sexy par Cyril Leclerc : grave, lunettes rondes, l’artiste est encastré dans un radiateur en fonte pas repeint. La pièce est brute, petite et basse comme une cave, mais Jean-François Munnier nous rassure, on peut s’asseoir par terre, le ménage a été fait. On s’entasse, il faudra tendre les yeux. Cyril Leclerc a des dessins bleus derrière le bras gauche et des baskets argentées. Les smartphones sont des trucs formidables. Il y a encore quelques années, pour faire hype, un artiste lançait sa musique lui-même avec un ordi. Maintenant, un téléphone suffit et c’est à peine si ça se voit. Donc Cyril Leclerc pose son smartphone et lance sa musique, un vrombissement en vagues rappelant le bruit amplifié d’un frigo ayant depuis longtemps passé sa date de péremption. Il éteint la lumière, sa lumière – un néon posé contre le mur – et hop, là il montre son truc. Car il a un truc : à l’aide de deux boîtes noires qui se font face, il a ménagé un rai de lumière. Il passe sa main dedans et cela suffit pour créer des effets illusionnistes spectaculaires. Il semble que ses mains produisent de la lumière, ou que ses doigts s’enflamment, ou que l’eau s’enfume, explose en étincelles. Des tapes des mains produisent des flashes stroboscopiques. Je n’ai sans doute pas la même définition du sexy que Cyril Leclerc, mais pour du minimalisme, c’est bien vu.

Direction le hall du théâtre et The Void de Laurent Chanel. Sur une estrade, Laurent Chanel tout en noir joue les gisants. A son corps accrochée une dizaine de ballons funèbres gonflés à l’hélium tire sur ses vêtements. Sur une musique d’outre-tombe, il veut nous faire croire qu’il flotte dans le ciel, entraîné par ses ballons. On pense à un trucage des années 70 avec incrustation sale de ciel bleu. En fond sonore, des extraits de films américains. Qu’il se relève, on ne croit plus à son effet spécial. Le voilà à quatre pattes comme dans un film de loup-garoup, à se micro-balancer comme un personnage de MMORPG aux ordres. Il finit par retourner dans sa tombe.

Dans la cour attenant l’Etoile il commence à faire frais. Prudente, Elizabeth Saint-Jalmes s’est couverte pour représenter son Soulèvement. Je pense qu’elle a trop regardé Bioman quand elle était petite. Plus disloquée qu’un nighlok, elle titube encombrée de – boyaux ? crosnes ? filets de ratte ? chapelets maladroits de saucisses ? A voir comme elle se déleste bientôt de cette chose qui l’étrangle, il se confirme qu’elle se baladait toutes tripes au vent. Et voilà t-il pas qu’elle vous les crochète ! Et qu’elle te les caresse amoureusement, et qu’elle s’en berce, et qu’elle te re-éviscère tout ça avant, guillerette, de se trifouiller dedans ! Assurément, Elizabeth Saint-Jalmes aime les mues et la crépinette. Logiquement, son Soulèvement devrait soulever le coeur mais, par la grâce du textile, son sadisme est étrangement soutenable. Un must-see pour tous les fétichistes et sadomasochistes.