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Que d’eau !

Quelle filiation de l’eau en danse contemporaine ? Est-ce Pina Bausch qui lança le mouvement des danseurs mouillés ? Toujours est-il que la glissade sur liquide, généralement de l’eau, est devenu un motif récurrent de la danse contemporaine : je pense à Michèle-Anne de Mey, Sinfonia eroica (1990) ; Guilherme Botelho, Le Poids des éponges (2003) ; Jan Fabre, Quando l’uomo principale e una donna (2004) ; United-C, Who Cycle (2009), et sans doute bien d’autres que j’oublie ou ignore. En attendant que vous allongiez la liste, voici une variante récente, particulièrement spectaculaire, de la glissade sur eau.

Sadistic minimalistic illusionistic, Corps en plastique

Hier 29, j’ai repris le chemin des salles. Un peu par erreur, pour avoir lu trop vite le texte d’intention de Soulèvement, par Elizabeth Saint-Jalmes. Je n’avais pas fait le rapprochement avec les vidéos que celles-ci a publiées sur Vimeo, où j’administre le groupe Contemporary Dance. Mais qu’importe, cela faisait longtemps que je n’étais pas retourné à l’Etoile du Nord où, inlassablement et toujours le sourire aux lèvres, Jean-François Munnier défriche et déniche pour vous ces petites choses que vous ne verrez pas ailleurs (pour les non initiés ça s’appelle Avis de turbulences et la cuvée actuelle court jusqu’au 27 octobre).

Bref. Ce soir-là on refusait du monde. En même temps c’est de la triche, la jauge étant de 25 personnes, trois représentations dans l’après-midi, cela fait 75 spectateurs (5 euros l’entrée). Sous le titre Corps en plastique, trois solos, une déambulation dans et hors le théâtre.

Light is Sexy par Cyril Leclerc : grave, lunettes rondes, l’artiste est encastré dans un radiateur en fonte pas repeint. La pièce est brute, petite et basse comme une cave, mais Jean-François Munnier nous rassure, on peut s’asseoir par terre, le ménage a été fait. On s’entasse, il faudra tendre les yeux. Cyril Leclerc a des dessins bleus derrière le bras gauche et des baskets argentées. Les smartphones sont des trucs formidables. Il y a encore quelques années, pour faire hype, un artiste lançait sa musique lui-même avec un ordi. Maintenant, un téléphone suffit et c’est à peine si ça se voit. Donc Cyril Leclerc pose son smartphone et lance sa musique, un vrombissement en vagues rappelant le bruit amplifié d’un frigo ayant depuis longtemps passé sa date de péremption. Il éteint la lumière, sa lumière – un néon posé contre le mur – et hop, là il montre son truc. Car il a un truc : à l’aide de deux boîtes noires qui se font face, il a ménagé un rai de lumière. Il passe sa main dedans et cela suffit pour créer des effets illusionnistes spectaculaires. Il semble que ses mains produisent de la lumière, ou que ses doigts s’enflamment, ou que l’eau s’enfume, explose en étincelles. Des tapes des mains produisent des flashes stroboscopiques. Je n’ai sans doute pas la même définition du sexy que Cyril Leclerc, mais pour du minimalisme, c’est bien vu.

Direction le hall du théâtre et The Void de Laurent Chanel. Sur une estrade, Laurent Chanel tout en noir joue les gisants. A son corps accrochée une dizaine de ballons funèbres gonflés à l’hélium tire sur ses vêtements. Sur une musique d’outre-tombe, il veut nous faire croire qu’il flotte dans le ciel, entraîné par ses ballons. On pense à un trucage des années 70 avec incrustation sale de ciel bleu. En fond sonore, des extraits de films américains. Qu’il se relève, on ne croit plus à son effet spécial. Le voilà à quatre pattes comme dans un film de loup-garoup, à se micro-balancer comme un personnage de MMORPG aux ordres. Il finit par retourner dans sa tombe.

Dans la cour attenant l’Etoile il commence à faire frais. Prudente, Elizabeth Saint-Jalmes s’est couverte pour représenter son Soulèvement. Je pense qu’elle a trop regardé Bioman quand elle était petite. Plus disloquée qu’un nighlok, elle titube encombrée de – boyaux ? crosnes ? filets de ratte ? chapelets maladroits de saucisses ? A voir comme elle se déleste bientôt de cette chose qui l’étrangle, il se confirme qu’elle se baladait toutes tripes au vent. Et voilà t-il pas qu’elle vous les crochète ! Et qu’elle te les caresse amoureusement, et qu’elle s’en berce, et qu’elle te re-éviscère tout ça avant, guillerette, de se trifouiller dedans ! Assurément, Elizabeth Saint-Jalmes aime les mues et la crépinette. Logiquement, son Soulèvement devrait soulever le coeur mais, par la grâce du textile, son sadisme est étrangement soutenable. Un must-see pour tous les fétichistes et sadomasochistes.